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Le Chevalier de Paris, l'errant des rues de La Havane


Le Chevalier de Paris, l'errant des rues de La Havane
Le Chevalier de Paris, l'errant des rues de La Havane

Photo : Lucie Leclerc


En complément de l'information partagée par Chris Adyle, j'ai trouvé ce texte sur le site de l'Association Cuba Coopération France.


"Sur la place de San Francisco deux vieilles dames essuient une figure en bronze. D’abord la belle barbe, presque en or à cause de tant de mains des passants. Puis l´index de la main gauche, beau jusqu’à faire disparaître l’ongle et les jointures exquisément modelés par le sculpteur José Villa Soberón.


Elles font un voeu sous l’influence de quelques guides touristiques et de la mythologie populaire qui paraît lui accorder peu à peu un caractère de saint urbain. Parmi plusieurs statues de La Havane, celle-ci se détache. Elle est une des rares dans le monde dédiée à un fou.


Un homme qui a vécu son inoffensive mégalomanie comme symbole de la liberté

Peu d’hallucinés ont eu la popularité de José María López Lledín

bien que personne ne s´en souvienne ainsi. Il est passé à l’histoire avec un nom romantique : le Chevalier de Paris. Habillé rigoureusement en noir, toujours avec une cape, il pourrait susciter l’envie parmi les rockeurs ou les scientifiques avec sa longue chevelure tombante.

Il n’a pas gagné son surnom maraudant entre la bohème de Montparnasse ou à l’ombre de la Tour Eiffel. Il paraît qu’il est né le 30 décembre 1899 à Fonsagrada, une population de la communauté autochtone de Galicia, en Espagne. J’ai dit, il paraît, parce que dans cette histoire tout est apparence, fertilisée grâce à la capacité de son fabuliste protagoniste.

Fonsagrada était très petite. Aujourd’hui à peine quelques mille habitants sont restés derrière le pas de la modernité. Comme tant de galiciens José López Lledín a abandonné sa ville pour trouver fortune et en 1913 il est arrivé à bord d’un navire allemand à La Havane, ville dont il ne sortira jamais.

Avant d’être "le Chevalier", il a travaillé dans une épicerie, un magasin de fleurs, une librairie, un bureau d’avocat et dans une boutique. Il a servi aussi avec distinction et quelques connaissances d’anglais dans les hôtels Telégrafo, Inglaterra, Saratoga et Sevilla, des lieux où il a perfectionné les manières de prince qui l´ont rendu célèbre. Entre 1914 et 1920 il s’est conservé comme une personne en bonne santé. Il a fait des économies, il a envoyé quelque chose à ses parents en Espagne et a aidé sa sœur Inocencia aussi immigrante dans l’île.

Qu’est-ce qui a provoqué sa folie ? Toutes les sources coïncident : un emprisonnement injuste à la prison du Château a provoqué sa paraphrénie, un délire de grandeur, imaginatif et persistant qui l’a possédé pendant un demi siècle. Il a été arrêté à cause de la vente d’un faux billet de loto, a été accusé d’un assassinat dont il avait été complice, de vol de bijoux ou au moins il était opposé à un mari jaloux. Qui le sait ? Il n’existe pas de témoignages seulement ceux des estampes dans la presse de l’époque, des témoignages contradictoires de ses parents et de ses relations.

Ce qui est réel c’est que dans la prison du château (ici commence sa sagace) José María s’est déclaré indistinctement Pape, Roi et Chevalier errant, a prononcé des discours et a passé des nuits d’angoisse par le traitement dénigrant auquel il s’est vu réduit, lui, étant d’une noble lignée et seigneur de l’armée. L’écrivain Eduardo Robreño dans son livre Como me lo contaron te lo cuento, soutient que Lledín est sorti libre six ans après avec la « compréhension nuageuse ».

En 1928, il déambulait dans le Parc du Christ, avec sa longue chevelure blanche, sans se raser et il demandait seulement du respect à ses sujets. Quand on le saluait avec un cri de "Chevalier D’Artagnan", "Chevalier de Paris" il répondait en balbutiant et il hochait sa tête avec gentillesse. Selon le Docteur Luis Calzadilla, biographe du singulier personnage, même le Président de la République en 1949 a intercédé pour le laisser libre en ville après un bref internement à l’hôpital psychiatrique. Avec un grand enthousiasme il a étendu sa puissance à tout le monde connu : la Promenade du Prado, l’Avenue du Port, l’église de Paula, la rue Muralla, le coin d’Infanta et San Lázaro. Aux banques du Parc Central il a campé quelques fois. À partir de 1959 il prenait le Vedado et il faisait des incursions dans les rues 23 et 12, autour du restaurant Cinecittá.

Il frappait aux portes de quelques maisons et laissait quelques faire-part décorés avec des phrases sans sens, mais il ne demandait rien pour ça. Il n’a jamais accepté une aumône. Il a accepté des obsèques qu’il rétribuait avec une relique de son monde halluciné : des serviettes peintes, des feuilles sèches ou de morceaux de crayons avec de fils à couleurs.

Dans n’importe quel parc, avec des infules d’Alfonso X (le Savant) et un langage raffiné, il dissertait sur la vie et la religion, la politique, la monarchie et les empires, les contrées fabuleuses et éloignées, les batailles imaginées pour la paix ou il rappelait les ordres donnés au Pape pour que celui-ci rende hommage à ses amis.

En décembre 1977 il retourne à l’Hôpital Psychiatrique de La Havane non pas à cause de sa tranquille démence, mais à cause de son âge si avancé et de son fragile état de santé. Celia Sánchez, guérillero et collaboratrice intime de Fidel Castro, a demandé pour lui une ambiance confortable et lui a fait cadeau de deux costumes-cravates avec une cape.


À son arrivée, une équipe du Commandent Bernabé Ordaz, le Directeur de l’Institution, a nettoyé le vieux, a démêlé et tressé sa mystique chevelure peuplée d’insectes. Fatigué, entouré de laquais en blanc, il se retire et joue à être Dieu : « Je suis le roi du monde parce que le monde toujours est à mes pieds. Ne regardez pas les mocassins sales. Regardez le trottoir, regardez la terre, regardez le pavé, tout est au-dessous de moi » a confessé à son psychiatre.

Et le roi du monde, l’explication humaine de cette ville, est mort à 1 heure 45 le 11 juillet 1985. Il a laissé l’héritage d’une cuillère à café, une monnaie vénézuélienne de 25 centimes, quelques découpages de magazine à propos d’Enrique Caruso, la carte de présentation d’un masseur à domicile, des petites images de quelques saints, plusieurs photos à lui et les mandements chrétiens. Aussi une poignée de légendes et des chansons sur un homme qui a vécu son inoffensive mégalomanie comme symbole de la liberté, dans une époque sans lieux pour des aristocrates et des chevaliers errants.



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