Sans doute, les années 90 constituent la période la plus difficile de l'histoire récente de Cuba.
Nous sommes encore loin des pénuries totales de cette époque incroyable, où toute une génération n'a pas baissé les bras et a fini par s'en sortir... certains avec un diplôme universitaire.
Au lendemain de la chute du bloc des pays socialistes d'Europe de l'Est, l'économie cubaine s'était complètement effondrée. Nous sommes passés en quelques semaines d'une certaine abondance à la précarité extrême.
La crise économique, ainsi que la crise politique, s'était particulièrement intensifiée durant l'été 1994.
Voici un "écho" que j'espère vous permettra de mieux comprendre un moment historique de Cuba, qui a marqué un tournant définitif dans le cheminement du pays depuis lors.
"Fidel Castro tente de reprendre la main face à la contestation. La première émeute de l'histoire communiste de Cuba traduit le désespoir d'une population lassée par trois années de pénurie quasi totale. Mais le « líder máximo » ne veut rien lâcher et passe à la contre-offensive.
Le régime de Fidel Castro, qui semblait quelque peu vaciller ces dernières semaines, s'est ressaisi au lendemain de la première émeute populaire en trente-cinq années de communisme. Depuis dimanche, La Havane est le théâtre d'une vaste contre-offensive sécuritaire et idéologique : présence massive de policiers et même de quelques patrouilles de parachutistes sur le port et aux points névralgiques de la vieille cité coloniale, cérémonie funéraire grandiose pour les policiers tués lors des violents affrontements de vendredi dernier sur la place de la Révolution, haut lieu de la liturgie castriste, patrouilles de supporters du régime amenés en masse depuis les provinces, traditionnellement moins frondeuses que la capitale... Le tout est orchestré par des discours fleuves du Commandant suprême, qui n'a pas hésité à se rendre sur les lieux des émeutes.
Cette atmosphère délétère, mélange de crispation et de statu quo dans l'attente d'une éventuelle ouverture des frontières, sous la lourdeur orageuse de l'été cubain, ne peut que renforcer le scepticisme ironique de la jeunesse havanaise qui, faute de distractions, se masse, la nuit venue, sur les parapets du Malecón, boulevard du front de mer, face... aux côtes américaines.
Le début du soulèvement populaire dans la capitale de l'un des derniers pays communistes de la planète, bien qu'il ait été rapidement maîtrisé, souligne la profondeur de la crise économique sans précédent dans laquelle se débat le régime cubain depuis la disparition du bloc soviétique. Les détournements successifs (qui se sont poursuivis encore hier), vers Miami, de vedettes de transport de passagers dans le port de La Havane, avec le soutien manifeste et bruyant d'une population massée sur les quais, traduisent, comme les émeutes de la semaine dernière, le désespoir latent d'une population soumise depuis trois ans à un régime de pénurie généralisée. La chute vertigineuse des ressources de l'État caribéen, dont les échanges dépendaient à 80 % des pays de l'Est il y a quatre ans, est cruellement perceptible à tous les niveaux de la vie quotidienne des 11 millions de Cubains.
**Files d'attente et pénuries**
La diminution drastique des importations pétrolières (de 14 à 6 millions de tonnes) a entraîné, en plus de graves perturbations des transports publics, une généralisation des coupures d'électricité, désormais quotidiennes. Avec un PIB qui a plongé de 50 % entre 1991 et 1993, les capacités d'importation de l'île sont au plus bas. L'État omniprésent n'arrive plus à fournir les denrées de première nécessité accessibles par le biais de la « libreta », le fameux carnet de rationnement cubain, qui est en passe de tomber en désuétude. Les files d'attente devant des magasins vides, notamment dans les quartiers historiques où ont éclaté les émeutes, et dont les immeubles de style colonial sont souvent en état de délabrement avancé, constituent désormais un parcours du combattant quotidien pour la majorité des 2 millions de Havanais. Même pénurie désolante dans les pharmacies, où les hôpitaux manquent de médicaments et de produits d'entretien, tout comme les services publics, qui constituaient jusqu'ici la vitrine sociale du régime castriste.
La dépénalisation de la possession de dollars, l'ouverture de boutiques où l'on peut payer en devises américaines, et la généralisation du marché noir rendent encore plus amère cette situation aux yeux d'une population prenant conscience de la précarité de son pouvoir d'achat : le salaire moyen en pesos ne représente guère qu'une poignée de dollars au taux de change parallèle. D'autant que les mesures d'**agiornamento** économique adoptées - volens nolens - depuis deux ans par Fidel Castro tardent à porter leurs fruits. Les concessions de permis de recherche offshore à des compagnies pétrolières occidentales, les joint-ventures avec des sociétés étrangères et le développement accéléré d'un tourisme de masse ne suffiront pas à remplir rapidement les caisses d'un État désireux de diminuer à la fois la masse monétaire et le déficit budgétaire et qui s'apprête, pour la première fois de son histoire, à lever des impôts. Ce n'est pas le plus récent discours économique du président cubain, prononcé lors de la dernière séance de l'Assemblée nationale, juste quelques jours avant la vague d'incidents, qui apportera une lueur d'espoir. Le « Commandant en chef » a en effet annoncé la plus mauvaise récolte sucrière (principale source de devises de l'île) depuis trente ans : 4 millions de tonnes contre 8 millions en 1988. Il a alors incité les cadres cubains « à changer d'attitude pour gagner la bataille alimentaire » et proposé tout simplement « d'accélérer le retour des citadins à la campagne ». Face à une telle perspective, le découragement des Cubains, qui souffrent de malnutrition et de manque de vitamines, est facilement compréhensible, tout comme leur fascination croissante pour les rives de la Floride voisine, où les attend une diaspora puissante et organisée.
**Émigration sauvage vers Miami**
L'émigration sauvage vers les États-Unis, qui a été au centre des troubles de la semaine dernière, ne semble pas constituer une solution miracle aux problèmes économiques du pays. Si Fidel Castro a menacé les États-Unis d'autoriser une émigration massive (comparable à celle de l'opération Mariel, qui en 1980 a projeté 130 000 Cubains sur les côtes de la Floride), le département d'État américain a rappelé que « les États-Unis ne lui permettraient pas de dicter sa politique d'émigration ». Cela n'empêche pas les autorités américaines de peaufiner un plan d'interception d'un éventuel flux de réfugiés cubains pour les répartir sur des bases militaires dans différents points du territoire."
Jean Baudot
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