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Photo du rédacteurPassion Varadero

De la vie à Cuba - Les "coger botella"


Ce n'est qu'une façon de se déplacer, généralement en faisant un signe du pouce, d'arrêter un véhicule et de demander au conducteur un transport gratuit.


Pour les Cubains, c'est en effet l'équivalent de l'auto-stop. Une théorie intéressante sur l'origine de l'expression est la suivante: «Coger botella» (prendre bouteille) peut être lié à la signification particulière du mot botella, qui dans la langue populaire à l'époque de la République, première moitié du XXe siècle, signifiait aussi recevoir un salaire pour un poste qui n'était pas réellement occupé. C'étaient des concessions d'hommes politiques corrompus. Je suppose donc que «Coger botella», c'était comme gagner un transport sans payer. Il est cependant toujours possible que ce soit exactement le contraire qui est arrivé et que la "botella" payée pour ne rien faire à un moment donné de l'histoire de Cuba, s'inspirait justement du bénéfice de voyager gratuit. L'énigme alors n'est pas encore élucidé.


Vivre dans n'importe quelle ville implique d'avoir besoin de se déplacer tous les jours pour aller au travail, à l'école, chez le médecin ou pour s'amuser, et il n'est pas toujours possible de le faire à pied ou à vélo; tôt ou tard, nous avons tous besoin des transports en commun.


La précarité historique des transports en commun à Cuba a naturellement fait de l'auto-stop une pratique généralisée et populaire, pas seulement dans les villes, mais aussi lors de voyages interprovinciaux.


Je me souviens parfaitement comment, dans les années 1990, moi-même, étudiant à La Havane, il fallait 24 à 48 heures, voire plus pour parcourir environ 500 kilomètres pour rentrer chez-moi, dans le vieux Camagüey. Des heures d'attente sur les routes, même la nuit, pour attraper un camion inconfortable, ou un bus climatisé, ou même pas, peu importe, l'essentiel étant de se déplacer. Par contre nos copines n'avaient plus besoin que de mettre du rouge à lèvres, les cheveux au vent, et elles arrivaient chez-elles le jour même. Quelle injustice.


Parfois, nous voyons des paysans à bicyclette qui parcourent des centaines de kilomètres de route vers d'autres régions du pays, mais ils ne pédalent pas tout le temps, ils attendent plutôt et montent à bord du premier camion qui passe avec la bicyclette sur les épaules.


C'est une pratique qui parle sans aucun doute de transports publics insuffisants. Cependant, cela en dit long de même sur la sécurité et la solidarité, le caractère ouvert et fraternel de la majorité des Cubains, qualités sans lesquelles cette pratique commune ne serait pas possible.


Nous avons tous besoin de nous mobiliser, et encore mieux si c'était sans avoir à payer le transport. «Coger botella» à Cuba est gratuit, assez confortable et souvent plus rapide que les transports publics conventionnels, et il est si populaire qu'il n'y a pas un Cubain qui ne l'ait pas fait, un médecin, un policier, un militaire, un enseignant, une étudiante, une femme enceinte, tout le monde sait ce que c'est que de se déplacer sur l'île en faisant de l'auto-stop. Une voiture qui se déplace à vide dans ce pays est un gaspillage inexcusable.


C'est dans les années 90 que cette pratique connut son plus grand essor. L'État avait alors chargé des agents de transport d'être placés dans des endroits stratégiques à forte demande de mobilité avec le pouvoir d'arrêter les voitures d'État, pour transporter des personnes qui attendaient un moyen d'arriver à leur destination, et qui étaient prêtes à cotiser le prix. Ces agents pour le covoiturage obligatoire sont encore très connus sous le nom de "Los Amarillos", bien que leur uniforme puisse déjà être d'une couleur différente.


À chaque intersection des chemins nous verrons souvent plein de monde autour d'un agent "Amarillo" dans l'espoir de partir au plus vite possible. D'autres préfèrent s'écarter un peu de la foule et proposer plus de sous, afin de mieux tenter les chauffeurs d'arrêter.


Des milliers de fois, le problème quotidien des voyages à Cuba est ainsi résolu. Parfois, la «botella» est mauvaise, à d'autres moments, nous apprenons à connaître et à nous lier d'amitié avec des chauffeurs qui ont déjà l'habitude de s'arrêter et de nous emmener, parce qu'en chemin nous parlons, pour savoir où ils vont, et où ce serait mieux de descendre pour rejoindre un autre itinéraire; de temps en temps les chauffeurs essaient même de faire tomber les plus belles filles amoureuses, toujours avec respect, bien sûr.


Parfois, pour parcourir un certain trajet, il est nécessaire de faire encore et encore de l'auto-stop, mais les gens assument leur situation avec la plus grande tranquillité du monde. Tout type de véhicule peut être utile pour se déplacer gratuitement; dans le confort d'une voiture classique ou d'un bus, dans l'aventure d'une moto avec un side-car, ou d'un camion et même à bord d'une ambulance, d'un véhicule diplomatique, aussi bien que d'un tracteur ou d'une charrette.


Une culture de "La botella" fut créée à Cuba depuis longtemps, dont les protagonistes sont principalement des jeunes femmes, car si nous nous sommes tous également habitués à «Coger botella», il n'en est pas moins vrai que les jeunes et belles femmes ont toujours les meilleures chances de recevoir le service demandé rapidement et dans les meilleures conditions.


La plupart des chauffeurs confirment que la raison principale d'emmener les gens qui font de l'auto-stop, serait tout simplement la volonté d'aider les autres, car ils comprennent bien les difficultés des transports en commun, et que posséder une voiture particulière à Cuba est un luxe réservé à une minorité. D'autres conducteurs évitent néanmoins de transporter des auto-stoppeurs, sous prétexte de ne pas maltraiter les portes des vieilles voitures américaines, ou pour ne pas salir les sièges ou tout simplement parce qu'ils préfèrent éviter d'échanger avec des inconnus, ce qui est également parfaitement compréhensible.


Les options de transport privé ou coopératif se sont multipliées depuis que le travail indépendant a été autorisé dans le pays. Des milliers de transporteurs privés proposent un service de taxi, privé ou collectif, de manière assez efficace. Bajanda, le Uber cubain, et les nombreux almendrones qui roulent pleins de monde partout à Cuba, en sont bien des exemples. Mais ces options continuent d'être au-dessus des possibilités économiques de la grande majorité, c'est pourquoi la pratique de «Coger botella» continue d'être une option récurrente, très d'actualité, même en période de pandémie et de méfiance sanitaire très logique.


«Coger botella» n'est pas seulement un moyen rapide, pratique et gratuit de voyager, mais c'est aussi une tradition populaire profondément enracinée à Cuba, sinon totalement sûre, du moins très peu dangereuse pour les Cubains.

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