La mort de Che Guevara
Eduardo Galeano, l'écrivain uruguayen, nous raconte la mort de Che.
Dix-sept hommes marchent vers l'anéantissement. Le cardinal Maurer arrive en Bolivie, de Rome. Il apporte les bénédictions du Pape et la nouvelle que Dieu soutient résolument le général Barrientos contre la guérilla.
Pendant ce temps, assaillis par la faim, submergés par la géographie, les guérilleros errent dans les buissons de la rivière Ñancahuazú. Il y a peu de paysans dans ces vastes solitudes; et pas un, pas un, n'a rejoint la petite troupe de Che Guevara. Leurs forces diminuent d'embuscade en embuscade.
Le Che ne vacille pas, il ne se laisse pas vaciller, bien qu'il sent que son propre corps est une pierre parmi des pierres, une pierre lourde qu'il traîne en avançant à la tête de tous; Il n'est pas non plus tenté par l'idée de sauver le groupe en abandonnant les blessés. Par ordre du Che, ils marchent tous au rythme de ceux qui peuvent le moins: ensemble, ils seront tous sauvés ou perdus. Dix-huit cents soldats, menés par des Rangers nord-américains, marchent sur leur ombre. La clôture se rapproche de plus en plus. Enfin, quelques mouchards paysans et les radars électroniques de la National Security Agency des États-Unis révèlent l'emplacement exact. Des éclats d'obus lui cassent les jambes. Assis, il continue de se battre, jusqu'à ce que le fusil lui saute des mains. Les soldats se giflent pour la montre, la cantine, la ceinture, la pipe. Plusieurs officiers l'interrogent l'un après l'autre. Le Che est silencieux et le sang coule. Le contre-amiral Ugarteche, un loup de terre audacieux, chef de la marine d'un pays enclavé, l'insulte et le menace.
Che lui crache au visage. De La Paz, l'ordre arrive de liquider le prisonnier. Une explosion le fauche. Che meurt d'une balle, il meurt par trahison, juste avant son quarantième anniversaire, à exactement le même âge où Zapata et Sandino sont morts, également d'une balle, également par trahison.
Dans la petite ville de Higueras, le général Barrientos expose son trophée aux journalistes. Che est allongé sur un évier pour laver les vêtements. Après les balles, il est criblé de flashs. Ce dernier visage a des yeux accusateurs et un sourire mélancolique. Il croyait qu'il fallait se défendre des pièges de l'avidité, sans jamais baisser la garde.
Lorsqu'il était président de la Banque Nationale de Cuba, le Che avait signé les factures, pour se moquer de l'argent. Pour l'amour des gens, il méprisait les choses. Malade est le monde, croyait-il, où avoir et être signifient la même chose. Il n'a jamais rien gardé pour lui, ni rien demandé. Vivre, c'est se donner, croyait-il; et c'est arrivé."
Hasta la Victoria Siempre.
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