Lorsque l'économie cubaine s'était brusquement arrêtée dans les années 1990, pendant la période spéciale, la dynamique cubaine jusqu'alors considérée comme normale avait subitement disparu. Beaucoup de cubains se sont retrouvés sans travail du jour au lendemain. L'heure était grave au point de nous paraître irréelle, aujourd'hui, lorsque nous nous rappelons les moments vécus. Le pays avait été obligé de se réinventer pour survivre.
Une nouvelle ère se profilait à l'insu des cubains, qui étaient bousculés au seuil d'un secteur privé naissant.
Nous avons entendu jusqu'à la nausée que l'unification monétaire oblige désormais les entreprises d’État à la rentabilité, ou bien quelques centaines d'entre elles disparaîtront forcément sous les prochains mois, et des centaines de milliers de travailleurs se retrouveront inévitablement au chômage encore une fois. Ce n'est plus de nouvelle. C'est déjà dit maints fois. Cette situation réelle serait néanmoins extrêmement défavorable dans un contexte où les cubains sont déjà pris entre le marteau et l'enclume pour la hausse des prix, l'inflation, etc.
Dans le nouveau secteur privé, près de la moitié des autoentrepreneurs ont été obligés de remettre leurs licences, faute de travail pour cause de la crise économique, largement aggravée par la situation sanitaire qui dure insupportablement depuis plus d'un an.
Les nouveaux salaires de l'État sont donc devenus, plutôt qu'intéressants, indispensables pour être capables de continuer de payer les factures d'eau, gas, électricité, téléphonie et encore tant de choses nécessaires au quotidien, à des prix inimaginables jusqu'au 31 décembre dernier, pas le double ou le triple mais beaucoup plus cher. L’État ne propose hélas, que très peu d'emplois attractifs, et le secteur privé représente seulement 10 à 15 % des travailleurs cubains, en plus pratiquement à l'arrêt en ce moment.
Il y a donc déjà beaucoup de compatriotes qui ne peuvent pas travailler. C'est une situation assez exceptionnelle pour les cubains qui n'auraient peut-être jamais auparavant fait une telle légion de chômeurs.
Dans les rues il est remarquable l'ambiance des fois tendue chez les gens. On pourrait facilement découper l'air au sein d'une file d'attente, tellement chargée d'une énergie particulière, d'un comportement partagé enclin aux réactions agressives devant la moindre contrariété, caractère hargneux plutôt rare chez les cubains, d'habitude tranquilles et souriants.
Il y a quelques années nous avions quand même assisté à une restructuration de l'entrepreneuriat d'État, dont des milliers de travailleurs avaient été classés disponibles pour encourager effectivement les pratiques privées, à une nouvelle tentative de développer les autoentrepreneurs. Sans le savoir, ce fut un digne exercice de répétition du scénario cubain actuel.
Il serait pertinent maintenant d'aller plus loin encore dans le cadre de la nouvelle ouverture des possibilités du secteur privé, afin de créer quelques milliers d'emplois. Il serait même plus pratique pour tout le monde dans ce pays de promouvoir un secteur non étatique dans le commerce de détail qui permettrait d'élargir les points de vente, ainsi que d'améliorer l'offre. Ce serait très bénéfique pour notre population s'il y avait d'autres chaînes de magasins, pas d'État, même certaines internationales, qui pourraient maintenir un approvisionnement stable, et employer tant de personnes bientôt dans le besoin, probablement urgent, de travailler. Ce n'est pas moi qui le dis mais des économistes avisés.
Dans un petit article lu récemment, il était souligné d'ailleurs que l'État pourrait toujours gagner des impôts sur les ventes, la location des locaux et même sur les salaires des travailleurs de ces petites ou moyennes entreprises, ce qui me semblait plus que logique et réalisable. Le commerce à Cuba n'aurait pas besoin de plus de solutions expérimentales, qui échouent encore et encore depuis des années longues, au détriment des gens et leur souffrance historique dans les files d'attente interminables, au point même de nous paraître quelque chose de normal, et de la perte déjà chronique du bien le plus rare que nous possédons tous en totale égalité: le temps. Le commerce à Cuba aurait plutôt besoin d'une reconversion inédite, d'après l'opinion de ces quelques bons cubains.
Dans le pire des scénarios grand nombre de coreligionnaires criollos pourraient certainement grossir sous peu les files du secteur parallèle; coleros, revendeurs et intermédiaires parmi autres, qui font tellement de mal à tout point de vue, système informel insoutenable par nature mais nécessaire, puisqu'il faut continuer de gagner son pain à n'importe quel prix.
Cuba aurait donc besoin, aujourd'hui plus que jamais, d'un miracle financier, ou l'épisode du corona-virus va nous sembler ridicule
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